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Marie-Aude Panossian, à New York | 27/11/2014, 10:15 – 1154 mots
Pour la mégalopole américaine, la transformation en ville intellligente est devenue une nécessité après que la tempête Sandy a paralysé la cité en octobre 2012. Depuis, la municipalité a lancé un vaste chantier de mesures et soutenu des initiatives destinées à maximiser les ressources et à réorganiser le vivre-ensemble.
George Orwell et son « Big Brother is watching you » ne sont plus très loin disent les uns ! C’est un véritable progrès pour les New-Yorkais, rétorquent les autres. Depuis sa présentation, le 27 octobre dernier, par le Centre pour les sciences urbaines et le progrès de l’université de New York, cet appareil photo de 8 mégapixels fabriqué par la société Point Grey ne cesse de faire parler de lui. Dernier cri en matière de technologie, il sera très prochainement installé sur le toit d’un bâtiment situé à Downtown Brooklyn, à proximité du pont de Brooklyn, afin de réaliser des photographies du sud de Manhattan jusqu’à son centre toutes les dix secondes. Une façon de « prendre le pouls de la ville », affirment ses concepteurs. Plus prosaïquement, ce dispositif enregistrera toutes sortes de données allant de l’utilisation de l’énergie en passant par le déplacement des populations jusqu’à la détection d’engins suspects. Indications transmises ensuite à la police comme aux autorités municipales.
« L’intelligence », une question de survie
« Cette technologie vient à point nommé, alors que presque 80 % de la population des États-Unis et 50 % de celle du monde vit dans des villes, justifie Steven Koonin, chargé du financement du projet. Ces informations vont nous aider à mieux comprendre notre environnement urbain et à améliorer la qualité de vie des citoyens dans le monde. »
Peut-être. Seule certitude pour l’instant, cette innovation s’inscrit résolument dans un mouvement plus large dont New York se fait le chantre depuis plusieurs années : celui de la smart city. Ce concept s’est construit notamment à partir de l’idée qu’en 2030, deux personnes sur trois vivront dans une ville, selon l’ONU. Cette concentration d’individus sera source de difficultés supplémentaires, par exemple pour l’environnement, entraînant une raréfaction des ressources en eau, une pollution atmosphérique et une production excessive de déchets. Elle devrait aussi remettre en cause les modes de transport du fait du manque de carburants fossiles et poser avec une nouvelle acuité la problématique des ghettos, de l’insécurité et de la pauvreté.
Face à ces défis clairement identifiés, il s’agit donc de maximiser les ressources et de réorganiser le vivre-ensemble en s’aidant pour cela de l’information, la communication et la technologie. En un mot, en rendant la mégalopole américaine plus intelligente. Cette démarche entamée dès 2007 à New York par le maire Michael Bloomberg, totalement acquis à la cause de la smart city – il a favorisé les écoconstructions, permis à certains monuments d’être éclairés avec l’énergie des éoliennes et financé la réparation du réseau d’eau -, est devenue une question de survie après que la tempête Sandy, en octobre 2012, a paralysé Big Apple. En une nuit, 17% de la ville a été inondée, 90.000 bâtiments endommagés, deux millions de personnes sont restées sans électricité pendant plusieurs jours, 11 millions d’usagers privés de transports en commun durant une semaine. Six mois après l’ouragan, un rapport baptisé « Un New York plus fort et plus résilient » préconise la mise en oeuvre de 257 mesures (bâtiments, télécommunications, transports, carburants liquides…) dont certaines ont été immédiatement appliquées, comme le renforcement des digues. Et d’autres sont sur le point de l’être sous la houlette du nouveau maire Bill de Blasio. À ce grand chantier, s’ajoutent des initiatives public-privé ou uniquement privées qui visent à transformer l’une des cités les plus peuplées au monde en un modèle d’intelligence. S’il apparaît absolument impossible de dresser une liste exhaustive de tous les chantiers, certains ont cependant valeur d’exemples.
Ainsi, dans le domaine de l’information, la plate-forme interactive de Cisco et LG Electronics fait beaucoup parler d’elle. Baptisé City 24/7, elle fournit des renseignements sur les programmes étatiques ou municipaux et sur les commerces locaux.
Grâce à de nombreuses caméras de surveillance, elle indique l’état de saturation des parkings, les horaires des transports, les problèmes de sécurité ou mesure la qualité de l’air. Pour y accéder, il suffit de toucher l’un des 250 écrans numériques placés dans un lieu public (cabines téléphoniques, arrêts de bus, de trains…), ou de consulter un smartphone ou une tablette. Ce geste devient d’autant plus facile que la municipalité a entamé la construction l’an passé du plus grand réseau urbain de wi-fi du pays. Les 11 000 cabines téléphoniques de la cité vont devenir des points d’accès wi-fi et aider à terme à réduire la « fracture numérique ». L’électricité est également l’objet de toutes les attentions. C’est la raison pour laquelle la régie Con Edison travaille à créer un réseau intelligent pour que les consommateurs puissent mieux contrôler leur consommation.
Un chantier immobilier à 20 milliards de dollars
Combattre la violence s’avère tout autant un enjeu de taille pour le futur. Dans cette optique, la municipalité a lancé un programme pilote de deux ans qui, grâce aux micros placés sur les toits de certains quartiers chauds, alerte la police en temps réel dès qu’un coup de feu est tiré.
Si des mesures écologiques, notamment avec le vaste programme CityBike (l’équivalent du Vélib’) ou le réaménagement de certains quartiers engorgés et pollués, sont un acquis, c’est sans doute dans le domaine de l’immobilier que l’ambition la plus innovante se fait jour. Le Hudson Yards Project, estimé à 20 milliards de dollars, est le plus grand chantier privé de l’histoire des États-Unis et le plus important de New York depuis la construction du centre Rockefeller. Cet espace à la fois commercial et résidentiel qui s’étend sur douze hectares, entre les 30e et 34er ues, se veut un exemple en matière de développement durable. Grâce à des ajouts intelligents (loupe en fibres, milliers de capteurs posés sur les bâtiments, satellites sur les toits…), des données sur la circulation automobile, le flot des piétons, la qualité de l’air et l’énergie seront collectées et analysées. À terme, elles permettront, par exemple, aux éclairages de s’éteindre automatiquement dès que les occupants quittent la pièce, et à la lumière artificielle de s’ajuster d’elle-même à la naturelle. Ou encore à des moteurs d’ascenseurs de capter l’énergie au moment du freinage afin ensuite de la réintroduire dans le système électrique de l’immeuble. Sans parler des innovations qui vont donner la possibilité à un bâtiment avec un surplus d’électricité d’en envoyer à un autre qui en manque. Ou des nombreux dispositifs concernant la régulation de températures et la réduction des déchets.
Cet ensemble aussi prestigieux qu’intelligent ne sera cependant accessible qu’aux plus aisés. Si la municipalité veut en faire un véritable modèle pour l’avenir, cela aura un coût. Et reste à savoir qui pourra le supporter.