Reportage La fronde des New-Yorkais contre Airbnb Claire Alet 2Pour lire l’article4/05/2018
Une rue bordée d’arbres du quartier new-yorkais de Hell’s Kitchen, ancien repère d’artistes devenu branché, à quelques encablures des néons de Times Square : sur la porte d’entrée d’un immeuble de quatre étages, comme on en trouve tant dans Manhattan, une affiche indique qu’il est interdit d’entrer. « La prochaine étape, ce sera le tribunal pour le propriétaire », lance Tom Cayler, 68 ans, habitant du quartier et membre du comité des hôtels illégaux de la West Side Neighborhood Alliance (WSNA)1 [1].
Afin de favoriser la location classique de longue durée dans l’Etat de New York, il est interdit depuis une loi de 2010 de louer son logement pour moins de trente jours, à moins d’y être présent. Ce qui revient pour les touristes, à louer une chambre chez l’habitant mais pas un logement entier. Des agents municipaux2peuvent attribuer des amendes aux propriétaires ne respectant pas la réglementation, voire interdire la location du logement et, en dernier recours, mener des poursuites judiciaires.
Christopher a grandi et habite dans l’immeuble incriminé : « Ici, cinq appartements sur onze au total sont entièrement dédiés à la location de courte durée. » Tout le rez-de-chaussée et le deuxième étage sont occupés par des appartements que l’on peut louer sur des plates-formes comme Airbnb. « C’est la même chose dans l’immeuble voisin », poursuit-il. « Mes voisins ont peur. Pour les New-Yorkais, la sécurité tient beaucoup au fait de connaître les gens qui vivent dans leur propre immeuble. Mais la plus grande préoccupation, c’est que notre quartier de Hell’s Kitchen en est train de devenir une zone morte. »
Dortoirs airbnb
Selon le site indépendant InsideAirbnb, on comptait 48 852 annonces à New York City sur le site Airbnb en mars dernier. La Grosse Pomme est la troisième ville en nombre d’annonces actives sur Airbnb, après Paris et Londres. La moitié de ces annonces new-yorkaises proposaient la location d’un logement entier et 49 % d’entre elles offraient une disponibilité supérieure à soixante jours par an. Toujours selon ce site, 27,3 % des annonces new-yorkaises sont publiées par des multiloueurs, c’est-à-dire des personnes ou des entreprises qui louent plusieurs chambres dans un même logement, ou proposent plusieurs logements entiers. Ces données sont autant de faisceaux d’indices de locations illégales. Ce sont autant d’appartements qui viennent grignoter le marché de la location « normale », déjà sous pression.
La part d’augmentation des loyers entre 2009 et 2016 imputée à la présence d’Airbnb serait de 21,6 % à Chelsea et de 18,6 % dans les quartiers branchés de Greenpoint et Williamsburg, à Brooklyn Twitter
Dans un récent rapport [2], le contrôleur financier de la ville de New York, Scott M. Stringer, a montré que pour chaque point de pourcentage de part de logements Airbnb dans un quartier, les loyers augmentaient en moyenne de 1,58 %. Par exemple, dans le quartier du West Side, où vivent Christopher et Tom, la part d’augmentation des loyers entre 2009 et 2016 imputée à la présence d’Airbnb serait de 11 %. Cette part grimpe à 21,6 % dans les quartiers voisins de Chelsea, Clinton et Midtown Business District ou à 18,6 % dans les quartiers branchés de Brooklyn appelés Greenpoint et Williamsburg. « Le développement des sites de partage d’hébergements comme Airbnb renforce le problème d’accès à des logements abordables », affirme Scott M. Stringer dans son rapport.
Une proposition de loi visant à obliger les hôtes à afficher sur l’annonce l’adresse exacte de la location afin de faciliter les contrôles devrait être soumise au vote avant l’été Twitter
La députée démocrate de l’Etat de New York, Linda Rosenthal, reçoit dans sa permanence, un grand deux pièces modestes sur la 72e rue, à une vingtaine de blocs de Hell’s Kitchen. « La plupart des annonces publiées sur Airbnb sont illégales, mais elles sont si nombreuses qu’il faudrait avoir des effectifs considérables pour effectuer un contrôle suffisant », explique-t-elle. Elle a déposé une proposition de loi visant à obliger les hôtes à afficher sur l’annonce l’adresse exacte de la location afin de faciliter les contrôles. Elle devrait être soumise au vote avant l’été. Mais, là aussi, cette tentative de régulation fait face à de nombreux détracteurs, soutenus par la plate-forme : « Airbnb engage les services de très nombreux lobbyistes », assure Linda Rosenthal. Par exemple, la plate-forme a engagé les services d’un acteur, Danny Glover, qui a confirmé au journal Politico être rémunéré pour cela, afin de manifester en faveur d’Airbnb. Sans compter qu’une proposition de loi concurrente, soutenue par un sénateur républicain de l’Etat de New York, John J. Bonacic, vise au contraire à assouplir la législation en vigueur. Cependant, la députée Linda Rosenthal n’en démord pas : « Il faut se mobiliser pour que certains quartiers de New York ne deviennent pas des dortoirs Airbnb. »
A San Francisco, les pouvoirs publics locaux ont imposé aux hôtes de s’enregistrer auprès de la municipalité. Ils avaient plus de quatre mois pour le faire, entre septembre 2017 et janvier 2018. Un délai au-delà duquel leur annonce était ôtée du site. Selon le San Francisco Chronicle, cette mesure a eu un effet massif : le nombre d’annonces sur les sites tels que Airbnb et HomeAway, qui s’étaient engagés à enlever les annonces sans numéro d’enregistrement, a été réduit de moitié.