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Trois bâtiments, à l’ombre d’un Holiday Inn gigantesque, cernés de gratte-ciel. Parmi eux une vieille église, Saint-George, convertie en pub: c’est tout ce qui reste de « la Petite Syrie », un quartier qui fut plus de 50 ans durant le centre économique et culturel du monde arabe aux Etats-Unis.
Une nouvelle exposition à New York lui rend hommage jusqu’au 9 janvier: ses organisateurs espèrent non seulement ranimer la mémoire d’un quartier autrefois très influent, mais aussi tordre le cou à de nombreuses idées fausses sur la communauté arabe.
Des années 1880 jusqu’aux années 1940, « Little Syria » s’étendait sur dix rues à l’extrême sud-ouest de Manhattan.
Ses résidents, essentiellement chrétiens, venaient, pour la plupart, de ce qui est aujourd’hui le Liban – et qui faisait à l’époque partie de la province ottomane de Syrie – mais aussi de Damas ou d’Alep.
Le commerce constituait la colonne vertébrale du quartier, qu’il s’agisse de denrées alimentaires, fruits secs et pistaches en particulier, ou de tissus.
Mais si les immigrés arabes aux Etats-Unis ont longtemps appelé ce quartier « la colonie mère », c’est aussi pour son rayonnement intellectuel et artistique.
C’est dans les colonnes d’un des nombreux journaux publiés dans le quartier que le poète d’origine libanaise Khalil Gibran, qui vivait à New York et fréquentait Little Syria, publia son premier livre, « al-Musiqa », en 1905.
Plusieurs membres du mouvement littéraire « Pen League », qui vit le jour à Little Syria, ont prôné l’émancipation des peuples arabes, encore sous le joug colonial à l’époque.
« Cela a eu une influence considérable au pays. C’était une conversation » entre la Syrie et la Petite Syrie, explique Devon Akmon, directeur du musée national arabo-américain, situé à Dearborn (Michigan) et à l’origine de l’exposition.
Le quartier fut cependant quasiment rayé de la carte par le chantier du Brooklyn Battery Tunnel, le tunnel qui relie aujourd’hui Manhattan et Brooklyn, démarré en 1940.
– ‘éclairer quelques esprits’ –
L’idée d’une exposition consacrée à Little Syria, qui s’est ouverte samedi sur Ellis Island, site emblématique de l’immigration, est née en 2011.
Alors que se préparaient les commémorations du dixième anniversaire des attentats du World Trade Center, tout proche de Little Syria, « il y avait beaucoup de discussions sur les Arabo-Américains, leur place dans la ville », se remémore Devon Akmon.
« Nous avons pensé que c’était un moment très important pour proposer de l’information exacte sur les Arabes d’Amérique », mais aussi replacer le sujet dans la grande histoire de l’immigration aux Etats-Unis, explique-t-il.
Little Syria s’y prêtait à merveille.
L’exposition est aussi une autre manière d’évoquer la Syrie, désormais associée quotidiennement à la guerre et la barbarie.
« Nous voulons simplement que les gens réalisent que les Arabo-Américains sont ici depuis longtemps », détaille Devon Akmon.
« Espérons que cela va éclairer quelques esprits et changer certaines perceptions », dit-il, tout en se défendant de mener un combat politique.
L’exposition a été conçue de manière à ce que tous les visiteurs, quelle que soit leur histoire personnelle, puissent dire, en sortant, « c’est un peu l’histoire de ma famille », explique Devon Akmon.
Essentiellement composée de photos et de documents écrits ou d’affiches, elle montre la vie de ce quartier.
Des hommes en costume attablés à l’une des nombreuses terrasses de café de l’endroit, en grande discussion autour d’un narguilé.
Il y a aussi des photos de restaurants, dont l’un, Kalil’s, pouvait servir jusqu’à mille personnes en même temps.
Grâce à cette présentation, « cela devient une histoire humaine », avant toute notion d’origine, de religion ou de langue, se félicite Todd Fine, président de la Washington Street Historical Society, qui se bat pour préserver la mémoire du quartier.
A force de mobilisations, l’association a obtenu, en 2009, que la façade de l’église Saint-George soit classée, et, grâce à elle, un monument dédié va bientôt voir le jour dans un nouveau jardin public.
Mais elle a quasiment renoncé à sauver les deux autres bâtiments restants, un combat trop coûteux tant le renouveau économique du bas de Manhattan, dans la foulée de la reconstruction du World Trade Center, a aiguisé l’appétit des promoteurs.
« Sauver un immeuble, cela représente des dizaines de millions de dollars », observe, fataliste, Todd Fine. « C’est David contre Goliath. »