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un excellent article paru dans l’Express
Snow Queen ou le New York du début du XXIe siècle entre désillusions et espoirs de rédemption. Rencontre d’hiver avec un Michael Cunningham au sommet de son art.
Le Caffe Reggio, et ses théières fumantes, offre le refuge parfait aux misères hivernales. Michael Cunningham, qui, six heures par jour, ouvrage ses phrases légendaires dans son bureau tout proche, s’arrête souvent dans ce vestige de l’ancien Greenwich Village pour se délester de ses personnages avant de rejoindre l’avenue B, plus à l’est, où il vit depuis sa séparation avec son compagnon.
L’artiste de l’introspection, le calligraphe méticuleux des états d’âme, l’auteur cérébral des Heures, déploie sa surprenante carrure d’athlète sexagénaire et ponctue la conversation de rires tonitruants, sans perdre une miette de la comédie new-yorkaise aux tables voisines, ni du mauvais temps sur MacDougal Street.
Ce lauréat du prix Pulitzer et du PEN/Faulkner Award travaille déjà sur un septième roman et prépare une série télé (pour la chaîne câblée Showtime) campée dans le milieu des cinéastes rebelles des sixties, mais l’hiver newyorkais tombe à pic pour saluer la sortie en France de son dernier livre, publié en mai 2014 aux Etats-Unis. Snow Queen (La Reine des neiges), un titre emprunté à Hans Christian Andersen, commence dans un Central Park enneigé, où Barett -son personnage- dépité par un texto de rupture de son dernier jeune petit copain en date, aperçoit dans le ciel de Manhattan une lumière étrange qui scintille comme une réponse à sa crise existentielle.
Les affres de la création, épicées de lignes de coke
Barett-le-paumé, fleuron de la prestigieuse université Yale, aujourd’hui employé, à 38 ans, comme vendeur dans la boutique de fringues d’une amie, retourne avec le secret de sa révélation mystique dans l’appartement qu’il partage avec son grand frère Tyler, au fin fond du Brooklyn encore zonard des années 2000. Le frangin n’est pas mal non plus, quadra figé dans ses souvenirs rancis d’ancien musicien prodige, acharné à composer la chanson parfaite dédiée à sa compagne, Beth, atteinte, pour tout arranger, d’un cancer avancé.
De ce trio éclopé, symbole de la « lose » et des illusions new-yorkaises, Cunningham trouve à nouveau matière à une fable somptueuse sur les affres de la création et l’autodestruction, épicées de lignes de coke et d’espoir de rédemption. Elle est située, pour faire bonne mesure, à l’époque de tous les tourments et de tous les espoirs américains, entre la réélection de George Bush et la victoire historique de Barack Obama.
« J’aurais pu présenter ce roman comme un livre sur le temps qui passe et la conscience de la mortalité, s’amuse-t-il. Mais vous imaginez la tête de mon éditeur… » Cet orfèvre de la lenteur fige Tyler et Barett dans une « recherche » proustienne made in Brooklyn, mais leurs atermoiements feraient aussi les choux gras de Woody Allen ou de Flaubert, dont la Bovary s’invite parfois dans les dialogues. « J’y vois un hommage au métier d’écrivain, explique Cunningham, qui consiste à tirer la beauté épique de l’ordinaire humain. Voyez avec quel art cette petite bonne femme merdique et étriquée a pu être érigée en héroïne de la littérature du XIXe siècle ! »
Dieu aussi semble être à l’honneur. En six romans, l’auteur n’a jamais tant frayé avec la mystique. Est-ce un hommage à la foi catholique de sa mère, pendant son enfance trop tranquille dans l’Ohio et à Los Angeles ? « C’est un choix naturel d’écrivain dans un pays imprégné par le religieux, répond-il. A un ami qui m’opposait la raison contre le surnaturel, j’ai un jour répondu : « Bon, tu as gagné ! » Nous vivons dans un monde, dans un New York à jamais privé de magie et d’étrangeté. Qu’est-ce qu’on fait maintenant? Du shopping ? » On l’entend rire à l’autre bout du Caffe Reggio.
Snow Queen, par Michael Cunningham, trad. de l’anglais (Etats-Unis) par Anne Damour. Belfond, 288p., 20,50€.