17 décembre 2014 | Par Michel Granger
Dans un pays où la religion a toujours été identitaire, liée à la période héroïque de la colonisation au xviie siècle (celle des « Pères pèlerins »), où la séparation des églises et de l’État n’a jamais coupé la vie politique de la religion, au point que les hommes politiques arborent leurs appartenances et croyances religieuses à la boutonnière, la suppression programmée de nombreuses paroisses ne peut passer inaperçue. Depuis cet automne, l’archidiocèse de New York – qui s’étend des montagnes Catskills à Staten Island – est en pleine effervescence : le cardinal Richard Nolan a lancé un vaste plan de fusion de paroisses pour réduire les coûts de fonctionnement. Sur 368, 112 on fait l’objet d’une étude pour donner naissance à 55 nouvelles paroisses. Récemment, un projet d’économies supplémentaires est venu en discussion, concernant 38 paroisses qui devraient se fondre en 16. La fermeture des églises inutilisées aura lieu en août prochain. Ces fusions se produisent dans la région de New York qui a pourtant une histoire de forte immigration catholique (irlandaise, italienne, portoricaine), mais d’autres diocèses des États-Unis sont aussi concernés et doivent procéder à des regroupements similaires.
Divers épisodes médiatiques concernant des questions de société portant sur l’avortement ou le mariage gay, par exemple au moment de la campagne électorale de 2012, avec la candidature du catholique traditionnaliste Rick Santorum, ont fourni une visibilité aux extrémistes et pu donner l’impression d’un puissant renouveau religieux. Toutefois, les plans d’économies réalisés par diocèses révèlent une crise de l’Église catholique américaine. Elle doit faire face par endroits à une désaffection sérieuse : il n’y aurait plus en moyenne que 12% de fidèles pour assister aux messes, selon les données de l’archidiocèse de New York. Les bâtiments coûtent cher à l’Église à qui revient de les entretenir : d’où la nécessité de réduire le nombre de paroisses, afin de conserver ce qui peut être sauvé. On gardera notamment celles dont les budgets sont équilibrés, parce qu’elles sont plus fréquentées et situées dans des quartiers où les riches donateurs sont généreux. Les églises inutilisées seront vendues dans les années à venir. À cela s’ajoute le manque de prêtres qui incite fortement à conduire une politique d’austérité.
Plusieurs explications de ce déclin peuvent être avancées. Certains des quartiers peuplés, où les églises avaient été construites il y a un siècle ou un siècle et demi, se sont remplis d’immeubles de bureaux, si bien que la population s’est éloignée vers les banlieues vertes. Le mode de vie a changé, les fidèles se sont transformés en « Chreasters », des pratiquants qui n’assistent plus qu’aux messes de Noël et de Pâques (Christmas + Easter), moments privilégiés pour témoigner leur attachement minimal à la religion, ou tout au moins à la tradition. Sans doute aussi certains se sont-ils éloignés de la religion institutionnalisée, celle qui fait la jonction entre les principes séculiers et les préceptes religieux, pour se contenter de croyances individuelles bricolées qui ne nécessitent plus d’aller à la messe.
L’Église catholique américaine souffre enfin très vraisemblablement des effets négatifs cumulés des milliers de scandales d’abus sexuels sur mineurs qui ont éclaté depuis une douzaine d’années : ils ont donné lieu à des procès comportant d’énormes indemnités financières qui ont touché les diocèses au portemonnaie et singulièrement réduit l’attractivité des églises. La diminution d’autorité morale qui en a résulté contribue à rendre silencieux le clergé sur les questions essentielles, l’injustice économique et sociale, la crise écologique, le fonctionnement du système judiciaire et le comportement de la police, comme lors des événements de Ferguson…